Par Allal Bekkaï
« Notre souci est de ressusciter l’intérêt et la curiosité pour la chose patrimoniale, en l’occurrence pour Siga », nous dira d’emblée Réda Brixi, muséologue, président de l’Association des Amis du Musée et du Patrimoine Matériel et Immatériel de Tlemcen (AMPAMIT) à l’occasion de l’excursion qu’il avait organisée, il y a quelque temps, par une journée ensoleillée vers le site de Siga(Oulhaça) et le mausolée de Syphax( Beni Ghanem). Etaient également au rendez-vous le guide de l’OGBC Mohammed Megherbi, un gars qui connaît le coin comme sa poche(archéologiquement parlant) et le président de l’association Siga Mohammed Miloud qui habite le village éponyme. Ce dernier nous montra un véritable trésor qu’il garde jalousement comme les prunelles de ses yeux dans une bourse bien liée. Il s’agit de pièces de monnaie antiques(Syphax, Bocchus, Bogus, Vermina,…) qu’il dit avoir découvert sur ce site suite à des fouilles pour certaines ou acquis auprès de particuliers pour d’autres. « Je suis bien sûr disposé à les exposer dans un musée au cas où on en ouvrirait un à Aïn Temouchent », a tenu à préciser ce militant du patrimoine. Au village, il nous montra avec un sentiment de dépit le bureau de l’association qui demeure fermé depuis plus de deux à cause, selon lui, de l’absence d’équipements nécessaires(mobilier, téléphone) pour son fonctionnement. A la faveur de cette visite, l’AMPAMIT et ladite association hôte ont convenu d’un projet commun portant sur trois axes, à savoir restaurer le mausolée royal de Syphax, instaurer un parcours touristique(vers Siga) et installer un musée dit de sites.Du haut de la colline ouest au lieudit ferme Oséra, on pouvait distinguer le méandre du port de Siga, ancienne capitale de Syphax attestée par de nombreuses monnaies. En outre, au témoignage de Tite Live, Siga en 206 avant Jésus Christ se trouvait entre les mains du roi berbère précité. A 4 km de l’embouchure de la Tafna, face à l’île de Rachgoun, sur la rive gauche, se dresse un mamelon dénommé Takembrit(rapproché au mot touareg akembour qui signifie « excroissance de chair sur le nez ou verrue). Une dénomination malicieuse qui a trait à un sobriquet car les berbères avaient une mentalité tournée vers le concret ;ils faisaient ainsi allusion à la position géographique du détour de la boucle de la Tafna qui dessinait une courbe pareille à un pois chiche comme une verrue…Deux stèles ont été découvertes sur ce site(Takembrit) au voisinage immédiat de Siga lors des anciennes fouilles, selon les explications données par le président de l’AMPAMIT…Là s’élevait autrefois Siga, capitale du royaume des Masaesyles qui était accessible par des navires de mer.La ville est signalée au IVè siècle av. J.C par Scylax. La cité succédait à un ancien établissement punique (Carthaginois), d’abord établie sur l’île de Rachgoun, transférée sur le continent et logée dans un méandre dont les fouilles ont livré des amphores puniques du Vè siècle av. J.C. Au dessus se trouvait des vestiges de construction d’époque numide…Au village de Beni Ghanem, dépendant administrativement de la commune de l’Emir Abdelkader( daïra de Béni-Saf ;wilaya d’Aïn-Temouchent), à quelques encablures de Rachgoun(6 km à l’ouest de l’antique Arechghoul), sur un monticule, se trouve le mausolée de Syphax(de forme bazina) connu sous le nom vernaculaire de Kerkar el Araïs(le dolmen des mariés). Le site funéraire, plusieurs fois dilapidé(par des « chasseurs » de trésor), d’une longueur de 35 m abrite dix salles souterraines voûtées dont il ne reste que des vestiges(ruines), un tombeau destiné aux rois et princes numides…Il faut savoir que sur le plan ethnique, les Numides constituaient un ensemble de tribus et de clans, à la tête desquels se trouvent des chefs qui soutiennent le roi avec leurs hommes lors d’actions ponctuelles, car il n’y avait pas d’armée régulière…Pour sa part, l’office du tourisme de Beni Saf fait dans ce sillage un historique quasi exhaustif sur le site en question. Situé au sommet de la colline Skouna à 220 m d’altitude sur la rive droite de la Tafna et en surplomb du site de Siga-Takembrit, ce monument qui faisait fonction de tombeau dynastique, est l’un des rares vestiges témoignant du prestige passé de la cité Siga qui fut successivement à travers les longues périodes de l’Histoire : bourg punique en relation avec le comptoir carthaginois de l’île de Rachgoun (à partir du VII° av JC) ; Capitale d’un vaste royaume numide dit Masaesyle à l’époque de la seconde Guerre punique et dont le roi Syphax avait un rôle déterminant dans les péripéties de cette guerre romano-carthaginoise (entre 220 et 202 av JC) ; une cité romaine relativement importante ayant le statut de Municipe et de port commercial (SigaMunicipium et PotusSigensis, à partir du II° s ap JC) ; un port médiéval prospère desservant naturellement l’arrière paystlemcenien bien avant la fondation des ports d’Oran (X° s) et Honaïne (XII° s).S’il est difficile de se prononcer sur sa datation, il n’en demeure pas moins que sa construction devait coïncider avec le règne de la dynastie numide masaesyle dont seuls les rois Syphax (vers 220-203 av JC) et son fils Vermina (202-192 av JC) sont formellement avérés par l’historiographie antique. Car par la suite, après le règne tumultueux de Jugurtha, Siga sera annexé au Royaume Maure sous Bocchus 1 ce qui valu, probablement, au Mausolée sa première destruction délibérée. Le corps du monument en ruine est resté durant de longs siècles enfoui sous un volumineux amas de pierre de taille ce qui lui valu l’appellation populaire de “Kerkar ou KerkoubLaraïs” qu’un journaliste avait traduit poétiquement par “Dôme des Mariées”!Ceci jusqu’à son dégagement puis sa fouille par l’archéologue Gustave Vuillemot au début des années soixante. La fouille des chambres funéraires (l’Hypogée) a révélé que la profanation daterait effectivement de l’Antiquité préromaine eu égard au dispersement du mobilier funéraire et du comblement des chambres par des pierres issues de la destruction de l’appareillage de la tour externe. La profanation se poursuivra durant les siècles qui suivent jusqu’à la fin du Moyen-âge lorsque le site de Siga sera complètement abandonné (en témoigne le percement d’ouvertures dans les cloisons de séparation d’entre les caveaux et la présence céramiques vernissées propres à cette période de l’histoire).
A côté du précieux travail de Vuillemot, nous disposons des résultats de la mission algéro-allemande de 1977 puis 1979 dont le plus intéressant est la restitution du monument proposé par l’architecte allemand F. Rakob qui permet d’estimer la hauteur et le volume de la structure monumentale, de dessiner sa forme particulière hexagonale curvi-rectiligne et de comprendre l’agencement de la galerie souterraine et ses trois accès menant chacun vers un ensemble de caveaux séparé des deux autres par un épais mur de cloison.
Malheureusement, depuis cette date, le monument est tombé dans l’anonymat le plus complet subissant les aléas du temps (érosion marine, pluies, insolation qui affectent la nature calcaire des pierres de taille) et les actions destructrices et irresponsables des hommes. En effet, il y a quelques années, le Mausolée sera victime d’une énième profanation œuvre de personnages inconscients, chercheurs de trésor de l’ère moderne!
Des puits creusés dans la chambre principale de l’Hypogée (à la verticale puis à l’horizontale) prouvent leur acharnement à découvrir une hypothétique chambre secrète où serait entreposé le fameux trésor de Syphax!Cet acte de vandalisme a porté un coup sévère à la stabilité du mur latéral qui soutient les claveaux de la voûte. Une expertise des lieux est des plus urgentes. D’un autre côté, les profanateurs se sont attaqués, au pic, à une partie du dallage, au pied des gradins Est, probablement à la recherche d’un accès secret au cœur du Monument.Ajouté à cela que des terrassements à caractère agricole, dans le périmètre immédiat du monument, bouleversent la couche archéologique et font disparaître de précieux documents archéologiques qui combleraient nos lacunes sur le sanctuaire et ses probables dépendances (temple; table de sacrifice; tombes secondaires…).Comme premières mesures de sauvegarde, il est préconisé les mesures urgentes suivantes : effectuer une expertise des lieux en vue de son classement et de sa protection ; procéder à une délimitation aussi précise que possible du site et sa clôture; fermer les accès du site aux profanateurs ;assurer le gardiennage du site.