Zitouni Mustapha 

A Oran comme ailleurs à travers tout le territoire national, il n’est un secret pour personne que l’agrément exigé pour l’ouverture d’une officine (pharmacie) se vend entre 02 à 04 milliards selon l’affluence populaire de la zone.

Une pratique assez courante comme le confirment les annonces passées sur le site spécialisé le plus visité en Algérie et dont nous prendrons à titre indicatif, trois annonces sur les centaines postées pour éclairer nos lecteurs. « Pharmacie installée depuis 2008 dans un village près de Gdyel, désiste son agrément avec fonds de commerce.»Ou encore «Vente agrément d’une pharmacie installée dans un village près d’Oran» et mieux encore, «Docteur en pharmacie à la recherche d’un associé financier pour l’achat d’un agrément d’officine au niveau du territoire national.»

On parle bien d’un agrément pour pharmacien aux hautes études supérieures avec toute la noblesse de ce métier qui jadis était considéré parmi les sages de la ville et qui pouvait siéger dans les assemblées de la commune.

Une profession noble dévoyée 

Comme tout autre secteur, la profession a été dévoyée et pour parvenir à cette situation des plus inquiétantes mais largement acceptée, il faudrait revenir aux raisons qui ont mené à ce qu’un agrément fasse l’objet d’un tel business et pour ce faire, nous nous sommes rapprochés de gens de la corporation et un pharmacien qui commencera par nous confirmer catégoriquement cet état de fait mais qui nous affirmera aussi en dénonçant l’octroi «illégal» d’agrément pour l’ouverture d’officines, il dira : «J’ai déposé une demande d’autorisation pour l’ouverture d’une pharmacie en 2002 et j’attends toujours la réponse, alors que d’autres demandes déposées en 2015 ont eu l’aval de la Direction de la Santé et de la Population,» nous a déclaré ce pharmacien qui a obtenu son diplôme au cours de l’année 2001.

D’autres qui ont opté pour d’autres activités depuis, ont perdu l’espoir d’avoir un agrément dont la demande a été déposée en 2005.

Suite à ces informations, nous avons été contraints de poursuivre notre enquête auprès d’un plus grand nombre de professionnels en pharmacie qui nous ont non seulement confirmé les faits, mais qui en plus, ont été jusqu’à affirmer que des passe-droits sont ouvertement constatés avec preuves que des affaires d’annulation d’agréments sont régulièrement traitées par la justice. Comme c’est le cas pour l’affaire des 63 agréments d’officine à Sétif, une affaire inhabituelle qui a défrayé la chronique et qui a abouti à une décision de justice, ordonnant l’annulation des 63 agréments d’officines, et ce, après un appel introduit par une pharmacienne écartée de la liste des bénéficiaires.

Sauf que l’application de la décision de justice peine pour on ne sait quelles rasions, à être appliquée.

Opacité autour de la délivrance des agréments

Le cours normal des choses est qui a de tout temps été au cœur des revendications des pharmaciens, lors de différentes rencontres de cette corporations, porte en fait sur des points précis et essentiels, à savoir la remise d’un accusé de réception à tout pharmacien demandeur d’installation d’officine par la DSP et l’affichage de la liste des bénéficiaires des agréments et celle des demandeurs d’installation d’officine par ordre chronologique.

Une pratique qui n’est que très rarement respectée selon nos interlocuteurs. «Nous avons toujours demandé aux directeurs de la Santé (DSP), de respecter la loi dans les attributions des agréments.»Régulièrement, des mouvements de protestation sont organisés par les professionnels de la pharmacie, en interpelant localement, les DSP et à l’échelle national pour interpeller les ministres de la Santé successifs.

Pour les pharmaciens que nous avons contactés, ces derniers maintiennent qu’ils sont déterminés à aller jusqu’au bout et saisir la justice quand il le faut pour dénoncer ces pratiques indignes d’une aussi noble profession.

On apprendra que l’affichage des listes des demandeurs d’agréments par la DSP, les rares fois quand cela est fait, provoque le plus souvent la colère des non retenus et en attente depuis des années.

Ces listes sont censées être établies en collaboration avec le Conseil de l’Ordre des Pharmaciens de la région, après vérification auprès du Conseil National.

==Faux certificats de résidence et passe-droits

Et là aussi comme pour d’autres secteurs qui ont été gangrénés, beaucoup d’anomalies sont régulièrement relevées, dont de faux certificats de résidence, des cumuls de fonctions et surtout le non-respect de l’ordre sur le registre coté et paraphé.

Les pharmaciens dénoncent une «mainmise» des politiques dans cet octroi d’agréments, «certains agréments délivrés par les commissions sont destinés à des enfants de hautes responsables ou de députés qui ne remplissent pas les conditions,» nous expliquera ce pharmacien, non sans un sourire au coin.

Plus grave encore, nos interlocuteurs mettent sur le tapis aussi le travail de contrôle de la Direction du Commerce qui se doit de protéger les consommateurs, et pour cause, des officines activent illégalement et il se trouve que de faux diplômés ou qui n’ont rien à voir avec la formation de pharmaciens, sont derrière leur comptoir à vendre des produits très sensibles que sont les médicaments. Notre interlocuteur pour étayer ses dires, fera valoir l’article 204 du décret exécutif qui stipule qu’ «aucun médecin ou pharmacien ne peut exercer sans être inscrit auprès du Conseil de l’Ordre de la profession, et tout contrevenant est passible de poursuites judiciaires.»Dans ce cadre précis, les pharmaciens n’ont eu de cesse de dénoncer le trafic et l’opacité dans lesquels sont élaborées les listes des bénéficiaires des agréments d’ouverture de nouvelles pharmacies d’officine et les bénéficiaires des agréments seraient contactés discrètement, sans que les listes ne soient affichées pour éviter toute protestation.Il est utile de rappeler l’engouement des nouveaux bacheliers et de leurs parents pour une inscription dans les filières médicales mais depuis quelques années, il semble que la barre ait été placée assez haute, une spécificité purement algérienne.

Les moyennes minimales exigées pour accéder aux filières pharmacie et médecine sont de l’ordre respectivement de 15,73 et 15,64, quant aux classes préparatoires intégrées en architecture (ex-Epau), l’étudiant doit obtenir une moyenne de 15,39 et aux classes préparatoires en informatique pour le Bac sciences expérimentales une moyenne de 17,09.

La stratégie nationale et les ambitions des uns et des autres doivent probablement être revues pour ne pas tomber dans les dérives qui touchent malheureusement des filières censées aboutir à des débouchés et des professions qui doivent être dignes d’une honnêteté sans faille, et bien malheureusement, la réalité actuelle nous enseigne le contraire.