Poète, mystique, guerrier et pacifiste avant la lettre: ainsi se décline la personnalité de l’Emir Abdelkader, haute figure du XIXe siècle. Son parcours exceptionnellement dense, donne de lui l’image d’un homme hors du commun qui aurait vécu plusieurs vies en une.

Né le 6 septembre 1808, Abdelkader l’Algérien aura consacré sa vie à façonner les évènements et à cultiver l’art d’apprivoiser son destin, jusqu’à sa disparition en 1883 à Damas. Cette vielle cité qui accueille l’Emir dans son exil oriental pour être auréolé d’autres titres de noblesse, après celui de chef de guerre incontesté sur les champs de bataille face aux armées françaises, au début de l’occupation de l’Algérie.
La personnalité de l’Emir est souvent appréhendée par fragments: le poète a occulté le mystique pour les uns, le guerrier, le diplomate et l’humaniste, pour les autres. Et dans la mémoire de tous, il est resté le grand combattant, alors qu’Abdelkader poursuivait un rêve plus grand encore que la libération de sa terre natale.
Après une enfance consacrée à l’étude et à l’apprentissage du Coran, l’Emir Abdelkader connaîtra, tour à tour à l’âge adulte, la vie de guerrier, de fondateur de l’Etat algérien moderne et de captif, avant que son nom ne s’inscrive en lettres d’or dans l’histoire universelle. En 1958, le monde découvre un Emir philosophe à travers la publication de “Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférent”, un manuscrit rédigé entre 1852 et 1855, lors d’un séjour à Bursa, en Turquie, et traduit en Fran9ais par Gustave Dugat.
Dans ce livre, l’Emir aborde des questions relevant de disciplines aussi diverses que la philosophie, la religion , l’économie politique ou encore l’ethnologie. Il y atteste que “’L’esprit est une de ces quatre qualités dont l’harmonie constitue la perfection de l’homme: la prudence, la justice, le courage et la tempérance”.
L’homme, dit-t-il, est citadin de nature, tant il a besoin de s’associer et de s’identifier à ses semblables. Plus qu’un discours, les spécialistes de l’œuvre de l’Emir voient dans cette profession de foi d’un seigneur aux origines bédouines, un véritable manifeste en faveur de l’altérité et du respect de l’Autre dans sa différence. Ces valeurs, pour modernes qu’elles soient pour l’époque, trouvent leur ancrage dans la tradition de la tolérance professée par Ibn Arabi, Le Grand Maître du mysticisme musulman et dont l’Emir Abdelkader devint une des plus grandes références au XIXe siècle.
“Le livre des haltes”, un ouvrage qui rassemble ses commentaires théologiques et ésotériques achevra d’installer l’Emir dans la lignée d’Ibn Arabi, en le révélant au monde comme maître spirituel majeur du soufisme contemporain.
Adeptes et admirateurs, trouveront aussi les traces de l’Emir dans le monde de la poésie.
Courtois ou mystiques, ses poèmes sont d’inégale valeur, mais toujours empreints de sagesse. De cette sagesse qui a guidé sa poésie, sa spiritualité, ses idées et ses actions, jusqu’à sa conduite sur le champ de bataille où l’ennemi désarmé était traité avec égard et humanité. Guerrier intrépide face à l’occupant français et son armada, l’Emir rédige en plein conflit la “Charte pour la protection des victimes et des prisonniers de guerre “‘. Encore une conduite de grand seigneur qui lui vaudra d’être unanimement reconnu comme “précurseur du droit international humanitaire”. De son exil damascain, l’Emir s’illustrera par d’autres faits d’arme en sauvant plus d’un millier de chrétiens d’un massacre certain dont les exécutants devaient être ses propres coreligionnaires.
“Prince parmi les saints et saint parmi les princes”, est l’ultime titre décerné à Abdelkader l’Algérien après cette action d’éclat saluée par les chefs des grandes nations, parmi ses contemporains.