Wassila. B 

Coup de tonnerre en France. Moins d’un mois après sa nomination, Sébastien Lecornu a remis lundi matin sa démission au président Macron, qui l’a aussitôt acceptée. À peine vingt-sept jours après son arrivée à la tête du gouvernement, le plus jeune Premier ministre de la Ve République devient aussi le plus éphémère. Cette démission précipitée marque un nouvel épisode de la crise politique majeure qui secoue la France depuis plus d’un an, au point que le quotidien britannique The Times évoque désormais « la pire crise démocratique depuis le général de Gaulle ».

La chute de Lecornu était pourtant prévisible. À peine le gouvernement annoncé dimanche soir, les critiques ont fusé de toutes parts. Dix-huit ministres avaient été nommés, mais la composition de l’équipe – quasi identique à celle du gouvernement Bayrou renversé trois semaines plus tôt – a été perçue comme une provocation. Ni ouverture vers les oppositions, ni geste symbolique envers les alliés centristes : Lecornu avait choisi la continuité. Même au sein du camp présidentiel, la ligne suivie a semé le doute. Gabriel Attal, chef du parti Renaissance, a dénoncé « le cirque des places et des postes » et « l’absence de stratégie sur le budget ».

Les critiques de l’opposition ont achevé d’isoler le Premier ministre. À gauche comme à l’extrême droite, la menace d’une motion de censure se précisait déjà pour la semaine prochaine. Le Rassemblement national et La France insoumise ont chacun appelé à un vote de défiance, tandis que plusieurs députés centristes envisageaient de s’abstenir, rendant la chute du gouvernement quasi certaine. Lecornu, lucide, a préféré partir avant l’humiliation.

Sa démission plonge Emmanuel Macron dans une nouvelle impasse. Trois chefs de gouvernement se sont succédé à Matignon en moins d’un an : François Bayrou, renversé par l’Assemblée ; Michel Barnier, brièvement chargé d’assurer l’intérim ; puis Sébastien Lecornu, contraint de quitter le navire avant même son discours de politique générale. Jamais la Ve République n’avait connu une telle instabilité. À moins de trois mois de la présentation du budget 2025, la France se retrouve sans Premier ministre, sans majorité stable, et sans visibilité politique.

Crise économique majeure

Les conséquences ne se sont pas fait attendre. La Bourse de Paris a ouvert en forte baisse lundi matin, perdant 1,7 % dans les premières heures. Les investisseurs redoutent une paralysie durable du pouvoir exécutif. Le déficit public, à 5 % du PIB, reste l’un des plus élevés d’Europe. Le pays, déjà affaibli par la défiance sociale et les tensions institutionnelles, voit se profiler la perspective d’une crise économique majeure. L’annonce du retour de Bruno Le Maire, nommé ministre des Armées, a cristallisé les critiques à droite, tandis que la reconduction de plusieurs figures du gouvernement précédent a accentué le sentiment d’immobilisme. « La France va encore perdre combien de temps avec ces bricolages ? », s’est emporté un député des Républicains. Cette incapacité à renouveler les visages et à clarifier la ligne politique illustre, selon plusieurs observateurs, « la fin d’un cycle macronien ».

Face à cette débâcle, les appels à la dissolution de l’Assemblée nationale se multiplient. Le Rassemblement national exige de « rendre la parole au peuple », tandis que La France insoumise pousse pour une procédure de destitution du président. Emmanuel Macron, qui a jusqu’ici refusé cette option par crainte d’un raz-de-marée populiste, voit sa marge de manœuvre se réduire comme peau de chagrin. « Il lui reste peu d’autres choix », estime The Times, rappelant que la Ve République n’a jamais été aussi près du blocage total. Cette crise est d’autant plus spectaculaire qu’elle découle directement d’une série de décisions présidentielles perçues comme obstinées. En refusant d’entendre les signaux d’alerte après la censure du gouvernement Bayrou, puis en nommant une équipe quasi inchangée, Emmanuel Macron a donné le sentiment d’un pouvoir sourd à la contestation. L’opinion publique, elle, se détourne. Les sondages publiés dimanche soir indiquaient qu’à peine 18 % des Français faisaient encore confiance au chef de l’État pour « sortir le pays de la crise ».

Le chaos politique semble désormais gagner toutes les institutions. Le Parlement, profondément fragmenté, n’a jamais retrouvé de cohésion depuis les élections législatives anticipées de 2024. Trois Premiers ministres en douze mois, des budgets votés in extremis, des motions de censure répétées : le régime paraît épuisé. Certains constitutionnalistes évoquent même « un retour au désordre parlementaire des années 1950 », celui-là même que la Ve République devait conjurer. Dans l’immédiat, aucune indication n’a été donnée sur le nom du futur locataire de Matignon. L’Élysée se contente d’évoquer des « consultations en cours ». Mais dans les couloirs du pouvoir, l’inquiétude est palpable. Plusieurs proches du président redoutent que la démission de Lecornu n’entraîne une réaction en chaîne, accélérant la désagrégation du camp présidentiel. L’histoire retiendra sans doute que Sébastien Lecornu, démissionnaire au bout de vingt-sept jours, aura symbolisé à lui seul l’essoufflement d’un quinquennat et la crise d’un régime. La France, privée de direction claire, vacille entre colère sociale, impasse institutionnelle et vertige démocratique. Emmanuel Macron, désormais acculé, n’a plus qu’une poignée d’options pour tenter de sauver non seulement son mandat, mais l’autorité même de la République.