Dans cette deuxième partie de l’interview accordé par le professeur Boubekeur Mohamed à notre journal, il a abordé des points sensible tel que la prise en charge des malades, le manque de moyens et la qualité de la formation dans les universités. Ses déclarations seront choquantes pour certains, mais elles reflètent une réalité que nul ne peut démentir, une réalité que le professeur Boubekeur étale au grand jour, non pas pour critiquer les uns et les autres, mais pour guérir le mal, profond et fatidique s’il n’est pas ausculté, identifié, et pointé du doigt. Le docteur Boubekeur plaide ainsi pour une prise de conscience et une révision de la politique d’enseignement, de recherche et de planification.

Interview réalisé par K. Arrache

Cap Ouest : Vous avez évoqué le fait que le malade doit rester au centre des préoccupations, et non pas la structure. C’est une véritable révolution quand-même !
Pr.Boubekeur Mohamed : Oui. Le ministre actuel est formel et répète à qui veut l’entendre : le malade, le malade, le malade. Le malade doit être la préoccupation majeure. Oui nous abordons aujourd’hui la problématique de la santé avec un nouveau prisme : celui de remettre le malade au centre de nos préoccupations. Quelque part, en cours de route, on a oublié le malade. Aujourd’hui nous avons des structures mais avec un grand problème : le plateau technique. C’est à ce niveau là que vous trouvez le scanner, l’échographie, l’IRM… C’est toute la biologie, les prélèvements, les analyses, les liquides, l’imagerie… c’est très important et cela touche directement le citoyen et le malade. J’évoque le cas du plateau technique parce que sa défaillance handicape lourdement le citoyen qui se voit trimballé d’un centre à un autre et des fois il est obligé de payer le service très cher.
Cap Ouest : En parlant de plateau technique, il y a un grand problème de radiothérapie qui pèse encore plus sur les personnes présentant des pathologies cancéreuse. Qu’elle en est la cause ?
Pr Boubekeur Mohamed : Les panes de la radiothérapie, sont un drame aujourd’hui ! Vous vous rendez compte un oranais qui se déplace à Béchar pour faire une radiothérapie. C’est inimaginable et pourtant ! Que peut faire le citoyen sans ressources pour payer une radio qui coute 70.000 DA ?! Soit peut-être 02 fois et demi son salaire. La cause de tout cela ? On a ramené des accélérateurs dans la précipitation. Aujourd’hui il ne faut pas refaire ça. Quand on achète un équipement, il faut former le personnel qui sera responsabilisé vis-à-vis de sa machine mais, et surtout, ramener la pièce détachée avec. Il faut une intelligence et une vision globale et non une politique d’à coup !
Cap Ouest : le privé cependant propose un plateau technique et contribue à remplir une mission où l’Etat présente des carences !
Pr Boubekeur Mohamed : Le secteur privé s’est beaucoup développé. Il est représenté par une vingtaine de cliniques, dont certaines sont performantes. Il existe de bons centres de diagnostics dont certains ont beaucoup investis sur le plateau technique, dont des IRM de dernière génération avec du personnel formé. Cependant le secteur privé vient en complément, mais il reste très cher. Un autre problème se prose pour les cancéreux, c’est la pénurie des drogues de chimiothérapie.L’Algérie veut investir dans ce domaine et les produire c’est plus que nécessaire ! D’ailleurs c’est la feuille de route qui est tracée par les hautes autorités du pays. Il faut développer le médicament ici et pourquoi ne pas devenir exportateur !
Cap Ouest : cela nous amène à parler des laboratoires de recherches !
Pr Boubekeur Mohamed: la recherche est capitale ! Aujourd’hui les laboratoires de recherche existent. Mais il faut investir sur ces gens. Si on veut développer la recherche, il faut lui donner un budget, pas une misère à 0,01%. Voyez nos chercheurs établis à l’étranger ! Il faut créer les conditions, Il faut que les chercheurs soient encouragés, qu’il y est une vraie politique d’incitation.

Cap Ouest : bref, aller vers une médecine moderne
Pr Boubekeur Mohamed: mais bien sur. Et j’y reviens : garder à l’esprit que le malade est le centre des préoccupations. Le malade c’est plusieurs axes : c’est la structure qu’il faut développer, c’est les équipements, c’est les équipes médicales et c’est la formation continue.
Cap Ouest : La formation, puisque vous venez de l’évoquer, est le maillon nécessaire et un peu délaissé, non !
Pr Boubekeur Mohamed: avant de créer la structure ou ramener les équipes et les équipements, il y a nécessité de former les gens. Il faut savoir ce qu’on veut faire. Aujourd’hui on veut créer un hôpital algéro-germano-qatari à Alger, Oran et Constantine… Très bien ! Moi je dis qu’il ne faut jamais mettre la charrue avant les bœufs. L’hôpital sera prêt dans deux ans, mais qu’est-ce que je souhaite en faire ? De la greffe hépatique, la chirurgie du cancer, enfin toute médecine qui diminuerait les transferts vers l’étranger. Donc il faut choisir les pathologies qu’on veut faire et désigner les équipes spécialisées et former à l’étranger, dès maintenant, les équipesmédicales, paramédicales, le personnel, l’administratif, etc.… et ensuite acheter le matériel qu’il faut, et maintenant, acquérir le plateau technique nécessaire… ce qui fait qu’au bout de deux ans, la structure et les équipes sont prêtes. Et ça c’est une vision à court terme. Il faut aller vers la formation des formateurs. On peut créer des centres de formations, sinon on ne pourra jamais avancer.
Cap Ouest : la feuille de route tracée par les autorités est un véritable programme de développement du secteur de la santé.
Pr Boubekeur Mohamed : avec le nouveau ministre, sur lequel je dirais beaucoup de bien, je pourrais dire que c’est une personne totalement impliqué et sa devise et philosophie sont claire. Et puis ça suit aussi la feuille de route des 54 points développés par le Président de la République. Aujourd’hui il s’agit d’aller vers le malade, notamment dans les zones désenclavées. Il faudrait que l’on arrive, selon la feuille de route, à une prise en charge du malade plus au moins correcte partout,et optimale dans les grands centres universitaires.
Cap Ouest : Quels seraient les projets immédiats ou à venir à inscrire pour l’amélioration de la santé ?
Pr Boubekeur Mohamed: ll faut absolument développer les urgences, notamment pour répondre à l’hécatombe des routes. Il y’a des morts chaque jour, c’est horrible ! Aujourd’hui on sauve des gens dans la rue, les ambulances sont équipées pour la circonstance, on pratique des soins dans la rue où on intube, on ventile, on désobstrue… il faut aller vers un développement de façon à pouvoir faire des soins de haut niveau, pour pouvoir sauver des malades. En dehors des accidents il ya beaucoup de pathologies qui sont demandeuses de soin à savoir le problème des AVC, développer la douleur thoracique, l’infarctus du myocarde… il faut également développer la chirurgie ambulatoire, l’hospitalisation à domicile qui permet d’ailleurs d’amoindrir les frais d’hospitalisation. Sur un autre plan, il faut parler de la contractualisation des hôpitaux publics. Pourtant c’est un projet qui date des années 80. Il faut que les assurances et la CNAS jouent le jeu. La contractualisation permettra d’avoir des rémunérations importantes pour le personnel médical et paramédical puisqu’ils seront payés par l’acte, et donc diminution du taux d’absentéisme et de déperdition puisque le personnel sera contraint de rester.
Cap Ouest: Monsieur Boubekeur, il y a un point sur lequel il faudrait également revenir : c’est l’enseignement supérieur, puisque intimement lié au devenir de nos médecins et cadres de demain.
Pr Boubekeur Mohamed: en ce qui concerne l’enseignement supérieur, il y a eu un changement qui est le nouveau ministre M. Baddari qui a totalement numérisé l’université de Msila. Au niveau du conseil de la nation nous l’avions demandé, il faut une numérisation de tous les secteurs et pas uniquement de l’enseignement supérieur. Puisque vous me donnez l’occasion, laissez-moi vous parler de l’enseignement de la médecine, puisque je sais de quoi je parle et je partage l’avis de beaucoup d’experts qui ont mal au cœur de voir la régression après qu’on a été un exemple de réussite. L’enseignement qui y est dispensé est mauvais, pour ne pas dire médiocre, fait par des gens qui n’ont pas les compétences reconnues. L’étudiant qui a passé 07 ans de médecine, il faut qu’il soit encadré par un professeur, rompu aux cycles de conférences et qui prend les choses très au sérieux. Les médecins, ce n’est pas ce qui manque. Vous avez aujourd’hui plein de médecins généralistes qui n’arrivent pas à trouver un travail. Des fois on les voit en train de s’inscrire à l’ANEM ! Ce n’est pas normal. Il faudrait étudier et établir une carte sanitaire. Outre la surcharge des amphis, je veux parler des personnes qui sont au niveau des facultés de médecine, du personnel administratif surtout, notamment à la faculté d’Oran, de l’université d’Oran, de la section médicale et d’autres, ils n’ont pas conscience de la nécessaire organisation et prise en charge de l’étudiant. Pourquoi ? Parce que les personnes qui sont au niveau des facultés de médecine ne sont pas assujettis à une réflexion. Il n’ya pas de prise en charge sérieuse et moi je dis que l’enseignement qui est fait aujourd’hui est un enseignement médiocre.
Cap Ouest : quelle est la solution à ce problème selon vous ?
Pr Boubekeur Mohamed : Il faut valoriser l’enseignement et le tirer vers le haut. Il faudrait que l’enseignant soit apte et il faut que l’administratif soit à la hauteur pour gérer l’enseignant et l’enseigné. Il faut également développer les bibliothèques, créer les conditions pour avoir un espace de travail qui donne envie. Aujourd’hui, l’étudiant est voué à lui-même, on produit pas, on écris peu ou pas, on n’est pas inscrit dans la recherche, il n’y a pas de revue indexée reconnue sur le plan international alors que nous avons un secteur qui s’appelle secteur de la recherche, qui est une annexe du ministère de l’enseignement supérieur et qui possède un bâtiment à part. Je parlerais également de l’éducation, de l’enseignement primaire, la source de beaucoup de problème. Des écoles en surcharge, des écoles vétustes, des franges de population qui ne sont pas prises en charge correctement, des enfants autistes, des handicapés de la langue, les sourds-muets, les mauvais enseignants, le manque de formation continue, des cycles de mises à niveau… bref les conditions pour un bon enseignement ne sont pas encore réunies, et là aussi il faut qu’il y est incitation et il faudrait que les syndicats réfléchissent logiquement et s’associent pour le développement du secteur. Il y a des efforts énormes à faire.