Par Meriem B
Le rideau s’est levé, pour la quatrième journée du 13ᵉ Festival international du film arabe d’Oran, sur une programmation riche et contrastée, où les émotions intimes croisent les drames collectifs, et où le cinéma arabe continue de se réinventer à travers des récits porteurs d’humanité.
Entre fictions introspectives et témoignages puissants venus de Palestine, la journée du lundi 3 novembre 2025 a confirmé le souffle artistique et la portée symbolique de ce rendez-vous cinématographique majeur du monde arabe.
Deux œuvres marquantes en compétition
Au cœur de la compétition officielle des longs-métrages de fiction, deux films ont particulièrement captivé les festivaliers : Les Chants d’Adam de l’Irakien Oday Rashid, et SimSim de la réalisatrice jordanienne Sundus Samirat.
Ces deux œuvres, bien que très différentes, partagent une même quête : celle de la liberté, face aux peurs, aux conventions ou au poids des traditions.
Les Chants d’Adam — coproduit par l’Irak, les Pays-Bas, l’Arabie saoudite et les États-Unis — transporte le spectateur dans l’Irak de 1946. L’histoire, empreinte d’une grande sensibilité, suit Adam, un jeune garçon bouleversé par le rituel funéraire de son grand-père. À travers ce regard d’enfant, Oday Rashid interroge le rapport à la mort, au temps et à la transmission. Le réalisateur y déploie une esthétique sobre, presque poétique, où chaque plan semble suspendu entre rêve et réalité.
De son côté, SimSim, œuvre collective signée par quatre auteures jordaniennes, aborde la condition féminine avec une force rare. Le film raconte le parcours d’une femme divorcée qui refuse de se soumettre à un mariage imposé et décide de reconstruire sa vie, seule, avec sa fille. La réalisatrice Sundus Samirat y esquisse un portrait vibrant d’une femme moderne dans une société conservatrice.
Entre rébellion et renaissance, SimSim met en lumière les fractures d’un monde arabe en pleine mutation, où la quête d’émancipation se conjugue à la dignité.
Un jury international pour un cinéma sans frontières
La compétition des longs-métrages est placée sous la présidence de Dora Bouchoucha, grande figure du cinéma tunisien, productrice et formatrice reconnue pour son engagement en faveur du cinéma d’auteur. À ses côtés, Ahmed Al-Daraji (Irak), Khadija Al-Salami (Yémen), Abbes Zahami et Lotfi Bouchouchi (Algérie) composent un jury représentatif de la diversité du 7ᵉ art arabe.
Leur mission : départager dix films en lice parmi les 34 programmés dans cette édition 2025, organisée sous le patronage du ministère algérien de la Culture et des Arts, avec le soutien de la wilaya d’Oran.
Des regards venus de tout le monde arabe
La journée du 3 novembre a également donné à voir une série de courts et moyens métrages venus d’Égypte, de Syrie, d’Algérie, d’Arabie saoudite, de Palestine ou encore du Koweït, confirmant la vitalité du jeune cinéma arabe.
Les projections se sont enchaînées avec Abu Judy de l’Égyptien Adel Ahmed Yehia, A Passing Day de la Syrienne Rasha Shahin, Sakyna de l’Algérien Adnane Abed, ou encore The Clown of Gaza du Palestinien Abdulrahman Sabbah.
Autant de créations où la fiction dialogue avec la mémoire, la douleur et l’espoir. Le film Maybe One Day de Amine-Kais (Algérie) et Fanzo d’Abbas Al-Yousefi (Koweït) ont également suscité de vifs échanges avec le public, signe d’un festival vivant et participatif.
« From Ground Zero » : la voix des Palestiniens à travers l’écran
Le cinéma comme acte de résistance
Moment fort de cette quatrième journée : la présentation, dans le cadre de l’initiative « Palestine Forever », de trois courts-métrages issus du projet From Ground Zero+, dirigé par le cinéaste palestinien Rashid Masharawi et coproduit avec la Française Laura Nikoloff.
À travers ces films réalisés en pleine guerre, ce projet se veut bien plus qu’une œuvre artistique : un témoignage humain et collectif, une façon de dire au monde que le peuple palestinien existe, crée et résiste.
« L’art ne produit pas de résultats immédiats, mais il change les consciences lentement, profondément », a déclaré Rashid Masharawi en marge de la projection. Pour lui, le cinéma palestinien n’est pas un produit commercial, mais un acte humanitaire.
Il vise à raconter une histoire qu’on cherche trop souvent à effacer.
« Nous n’avons pas d’industrie, mais nous avons des voix, et ces voix portent. Aujourd’hui, une nouvelle génération de cinéastes palestiniens impose un langage cinématographique singulier, reconnu pour sa valeur artistique et humaine, non pas politique », a-t-il ajouté, visiblement ému par l’accueil du public oranais.
Laura Nikoloff : « Montrer la réalité telle qu’elle est »
La productrice Laura Nikoloff, pour sa part, a expliqué avoir rejoint le projet « sans hésitation », convaincue de la nécessité de donner la parole aux Palestiniens à travers leur propre regard.
« Ces films montrent la réalité telle qu’elle est. Pendant trop longtemps, une partie des médias européens, notamment français, a véhiculé une narration biaisée, présentant les Palestiniens comme des agresseurs plutôt que comme des victimes », a-t-elle déclaré avec fermeté.
Elle a souligné que le cinéma joue aujourd’hui un rôle essentiel pour briser ce discours dominant, permettant de redonner une visibilité et une humanité à ceux qu’on réduit souvent à des statistiques de guerre.
Selon elle, la perception de l’opinion publique européenne a évolué ces deux dernières années, sous l’effet d’une prise de conscience collective :« On entend désormais dans les débats des mots comme “génocide”, chose impensable auparavant. C’est le fruit d’un travail culturel et militant mené sur plusieurs fronts : celui des associations, des intellectuels, des artistes et des festivals comme celui d’Oran », a-t-elle noté.


















